À la suite de la conférence qu’elle a donnée le 12 septembre 2025, maintenant disponible en rediffusion, Christine Padgett, Ph. D., a accepté de répondre à nos questions sur un sujet encore largement méconnu : les lésions cérébrales liées à la violence conjugale, et plus particulièrement à la strangulation non fatale.
Elle était l’invitée de l’équipe de Carolina Bottari, qui développe un écosystème de soutien pour les femmes à risque d’avoir subi un traumatisme crânien. Le regard clinique et scientifique de Christine Padgett, docteur en psychologie et professeure-chercheuse à l’Université de Tasmanie, enrichit cette réflexion. Spécialiste des traumatismes craniocérébraux et chercheuse principale du projet international TALK-TBI, elle explore les effets cognitifs et psychologiques d’une violence qui laisse souvent peu de traces visibles, mais des conséquences profondes.
Voici l’entretien.
Q1. Pourquoi étudier les lésions cérébrales dans le contexte de la violence conjugale ?
Parce qu’elles demeurent largement invisibles. Pendant des décennies, la recherche sur la violence conjugale s’est concentrée sur le traumatisme psychologique, en négligeant les blessures physiques internes qui l’accompagnent souvent. Les coups portés à la tête, les secousses et la strangulation non fatale peuvent tous causer des dommages neurologiques durables.
Comprendre l’interaction entre la lésion cérébrale et la violence, explique la docteure en psychologie Christine Padgett, est essentiel pour saisir réellement la complexité du rétablissement des survivantes et survivants.
Q2. Qu’est-ce qu’une lésion cérébrale acquise ?
Une lésion cérébrale acquise désigne tout dommage au cerveau survenant après la naissance et n’étant pas causé par une condition congénitale ou dégénérative. Elle inclut les lésions traumatiques (provoquées par une chute, une collision ou une agression) et les lésions non traumatiques (comme l’anoxie, l’hypoxie ou la strangulation). Ces deux types endommagent le cerveau, mais par des mécanismes différents — l’un mécanique, l’autre lié au manque d’oxygène.
Q3. Quelles sont les conséquences typiques de ces lésions ?
Elles affectent le corps, l’esprit et les émotions. Il existe une gamme de conséquences, et voici quelques exemples parmi les plus fréquentes.
- Sur le plan physique, les survivantes et survivants peuvent souffrir de maux de tête, de vertiges, de troubles visuels ou auditifs, ou de fatigue chronique.
- Sur le plan cognitif, des difficultés de concentration, de mémoire et de planification sont courantes.
- Sur le plan psychologique, anxiété, dépression, irritabilité et difficulté à contrôler ses émotions apparaissent souvent.
La combinaison de ces symptômes peut profondément perturber la capacité d’une personne à travailler, socialiser ou se reconnaître elle-même.
Q4. Qu’entend-on exactement par « strangulation non fatale » ?
Il s’agit de toute pression exercée sur le cou ou la poitrine restreignant l’apport d’oxygène au cerveau sans entraîner la mort.
- Quelques secondes de privation d’oxygène suffisent pour causer des dommages cérébraux. La pression requise est étonnamment faible — environ 5 kg (11 lb), beaucoup moins qu’une poignée de main ferme.
Ces agressions laissent souvent très peu de marques visibles, ce qui explique pourquoi elles sont rarement reconnues dans les milieux médicaux ou juridiques.
Q5. Pourquoi parle-t-on souvent de « blessures invisibles » ?
Parce que les signes externes sont rares et que les survivantes et survivants peuvent ne pas se souvenir de l’épisode. Lorsqu’une personne subit une lésion cérébrale (par exemple à la suite d’un coup à la tête ou d’une strangulation), la perte de conscience peut survenir en quelques secondes, et la mémoire de l’événement est souvent fragmentée. Cette altération des fonctions, combinée à la peur ou à la honte, réduit la probabilité que la violence soit divulguée ou documentée.
Q6. Qu’est-ce qui rend le diagnostic si difficile ?
Un manque de formation, l’absence d’outils de dépistage standardisés et le chevauchement entre symptômes psychologiques et neurologiques.
Des cliniciennes ou cliniciens non formés pourraient attribuer la fatigue, la confusion ou les troubles de la parole à un état de stress post-traumatique plutôt qu’à une lésion cérébrale. La nature intime de la violence et l’absence de témoins rendent également la documentation clinique difficile.
Q7. Comment les lésions cérébrales interagissent-elles avec le traumatisme psychologique ?
Elles se renforcent mutuellement. Une lésion cérébrale peut aggraver les symptômes de stress post-traumatique — anxiété, hypervigilance, cauchemars — tandis que le traumatisme psychologique peut, en retour, accentuer les difficultés cognitives. Ce double fardeau complique la réadaptation et nécessite une approche intégrée : médicale, psychologique et sociale.
Q8. Existe-t-il des outils de dépistage des lésions cérébrales dans les cas de violence conjugale ?
Oui, mais ils sont rarement utilisés.
Christine Padgett mentionne des outils comme HELPS-IPV et CHATS, qui aident à repérer les personnes ayant peut-être subi des coups, des secousses ou une strangulation. Ces questionnaires ne sont pas diagnostiques ; ils ouvrent la porte à des soins appropriés. Elle souligne l’importance de poser les questions avec délicatesse, dans un cadre fondé sur les principes de la sécurité et du trauma-informed care.
Q9. Que sait-on de la fréquence de ces lésions ?
Les études disponibles montrent des taux de prévalence alarmants. Entre 28 % et 100 % des personnes victimes de violence conjugale présentent des signes d’altération de la conscience liés à une lésion cérébrale, selon la définition utilisée par l’étude. Dans les cas de strangulation non fatale, 27 % à 56 % rapportent une perte ou une altération de la conscience. Même si les données sont encore limitées, la CPadgett insiste : « Quel que soit le chiffre choisi, cela arrive — et c’est fréquent. »
Q10. Quelles populations sont les plus vulnérables ?
Les femmes autochtones, les personnes vivant avec un handicap et les personnes de la diversité de genre présentent des risques plus élevés.
Les inégalités structurelles — pauvreté, isolement, racisme systémique — augmentent à la fois l’exposition à la violence et réduisent l’accès à des soins spécialisés.
Q11. Comment les cliniciennes et cliniciens peuvent-ils mieux soutenir les survivantes et survivants ?
En adoptant un dépistage systématique et une collaboration interdisciplinaire. Les cliniciennes et cliniciens doivent reconnaître que les difficultés cognitives peuvent résulter d’une blessure physique et pas seulement d’un traumatisme psychologique. La formation, la sensibilisation et le travail conjoint entre psychologues, ergothérapeutes, neuropsychologues et intervenants sociaux sont essentiels pour offrir des soins complets.
Q12. Quel est votre message principal ?
« Parler de ces blessures, c’est rendre visible l’invisible. »
La Dre Padgett appelle la communauté scientifique et clinique à reconnaître que les conséquences neurologiques de la violence conjugale constituent un enjeu de santé publique.
Les reconnaître, les documenter et partager ces connaissances est à la fois un geste de soin et un acte de justice.